Le problème des espèces invasives existe depuis plusieurs siècles déjà, mais il est toujours d’actualité puisqu’il est difficile de ne pas transporter des individus d’un endroit à l’autre alors que le voyage est plus facile que jamais. Dans le cas des espèces aquatiques, le problème est double puisque très peu de barrières naturelles sont en mesure d’arrêter la propagation des espèces invasives. La situation avec laquelle sont aux prises le Canada et les États-Unis avec les carpes asiatiques en est un exemple flagrant.

Les quatre espèces de carpes asiatiques la carpe noire (black), la carpe des roseaux (grass), la carpe à grosse tête (bighead) et la carpe argentée (silver). Great Lakes Information Network.
Les quatre espèces de carpes asiatiques la carpe noire (black), la carpe des roseaux (grass), la carpe à grosse tête (bighead) et la carpe argentée (silver). Great Lakes Information Network.

Le terme « carpes asiatiques » englobe quatre espèces de carpes qui ont été introduites d’Asie : la carpe argentée, la carpe des roseaux, la carpe noire et la carpe à grosse tête. Ces espèces ont principalement été introduites pour contrôler la croissance algale dans les aquacultures américaines1, 9, 10; malheureusement, certains individus ont été en mesure de s’échapper dans le Mississippi pour ensuite coloniser les rivières Missouri et Illinois, ces dernières étant des affluents du Mississipi10. Pour éviter la prolifération des individus échappés,  des carpes stériles ou triploïdes ont été créées ; cependant, des erreurs génétiques et le commerce illégal de carpes diploïdes ont permis à certains individus fertiles de s’immiscer dans le système1,11.  Aujourd’hui, on retrouve la carpe de roseau, celle qui cause le plus d’inquiétudes11, dans tous les Grands Lacs sauf le lac Supérieur1; un spécimen de cette espèce a même été pêché dans le fleuve St-Laurent à la hauteur de Contrecoeur en juin dernier12. Heureusement, le spécimen était rempli d’œufs stériles, mais la seule présence d’une carpe dans le fleuve a sonné l’alarme chez les biologistes québécois.

Évolution du nombre de cas de carpes noires, argentées et à grosse tête de 1975 à 2011 aux États-Unis. National Wildlife Federation.
Évolution du nombre de cas de carpes noires, argentées et à grosse tête de 1975 à 2011 aux États-Unis. National Wildlife Federation.

Les raisons pour lesquelles les carpes asiatiques sont préoccupantes sont nombreuses : elles peuvent survivre à des conditions de très basses concentrations en oxygène dissous (anoxie) et à de très grandes variations de températures saisonnières (0.5°C à 40°C pour certaines)11; les carpes asiatiques sont très fécondes (la production d’œufs peut atteindre 5 millions par année par individu)11; dans certains cours d’eau colonisés par des carpes asiatiques, elles sont parvenues à représenter entre 80% et 98% de la biomasse totale de ces cours d’eau7,8; de plus, leur croissance rapide et le fait qu’elles peuvent ingérer 20 % de leur masse quotidiennement  fait en sorte qu’elles peuvent altérer la structure des communautés végétales et donc perturber l’habitat1,2 dans lequel elles sont introduites.

Face à tous ces problèmes, plusieurs solutions ont été proposées, mais aucune n’est sans conséquence. Le mouvement « eat the invaders », pouvant être traduit par « manger les envahisseurs », est né dans un effort pour combattre les envahisseurs et en tirer un bénéfice. Ce principe a été appliqué pour les carpes asiatiques; les pêcheries commerciales ont commencé à s’y intéresser. Les carpes pêchées servent principalement de sources de protéines animales dans la nourriture pour animaux de compagnie, par contre des efforts sont faits pour rehausser l’image de la carpe sur le marché de l’alimentation #humaine#, qui est réputée pour avoir mauvais goût3. Le problème avec l’intensification de la pêche aux carpes asiatiques est que les techniques de pêche sont peu sélectives, donc les espèces indigènes déjà aux prises avec une compétition accrue peuvent être victimes de la pêche à la carpe en étant prises de façon accessoire3.

Plusieurs barrières physiques et comportementales ont été implantées pour freiner la progression des carpes dans les différents cours d’eau (e.g. rideaux de bulles, barrages, stroboscope)11; encore une fois, ces barrières ne font pas la distinction entre les poissons indigènes et les poissons envahissants. Ces infranchissables peuvent avoir plusieurs effets néfastes sur les populations locales, tels que l’augmentation de la prédation et des maladies à cause du confinement, la restriction de sites de haute qualité pour le frai et la nutrition, le blocage des migrations de certaines espèces de poissons et la réduction de l’échange génétique à cause de la séparation des populations13.

Ces différentes techniques n’ont une efficacité que dans la mesure où elles sont appliquées par les autorités qui ont le pouvoir législatif de le faire. C’est d’ailleurs pourquoi la politique fait partie intégrante du phénomène de dispersion des carpes; les Grands Lacs étant partagés entre le Canada et les États-Unis-et entre huit états au sein des États-Unis-il y a un manque de cohérence dans les politiques de gestion des carpes. L’utilisation de carpes des roseaux est interdite en Ontario, alors qu’elle est permise sous cinq différentes politiques dans huit états différents au sud de la frontière14; les poissons étant reconnus pour leur manque de respect à l’égard des frontières politiques on peut comprendre qu’il y a un besoin d’unité au niveau des lois sur la gestion d’espèces invasives (surtout que les carpes ne sont pas les seules à poser ce problème; on peut penser aux moules zébrées).

Et maintenant qu’arrivera-t-il avec les régions déjà envahies? Entreprendrons-nous une campagne d’extermination à grande échelle de ces espèces invasives ou accepterons-nous le fait qu’elles font dorénavant partie intégrante de notre paysage écosystémique? Cette question se doit d’être soulevée puisque la protection des écosystèmes est importante, mais difficilement défendable lorsqu’elle implique de se débarrasser de millions d’individus déjà établis.

Références

  1. Embke, H. S., Kocovsky, P. M., Richter, C. A., Pritt, J. J., Mayer, C. M., & Qian, S. S. (2016). First direct confirmation of grass carp spawning in a Great Lakes tributary. Journal of Great Lakes Research, 42(4), 899–903. https://doi.org/10.1016/j.jglr.2016.05.002

2. Wittmann, M. E., Jerde, C. L., Howeth, J. G., Maher, S. P., Deines, A. M., Jenkins, J. A., …     Lodge, D. M. (2014). Grass carp in the Great Lakes region: establishment potential, expert perceptions, and re-evaluation of experimental evidence of ecological impact. Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences, 71(7), 992–999.
https://doi.org/10.1139/cjfas-2013-0537

3. Varble, S., & Secchi, S. (2013). Human consumption as an invasive species management   strategy. A preliminary assessment of the marketing potential of invasive Asian carp in the US. Appetite, 65, 58–67.                                                           https://doi.org/10.1016/j.appet.2013.01.022

4. Pêche et Océans Canada, Carpe Asiatique, accédé au :
http://www.dfo-mpo.gc.ca/science/environmental-environnement/ais-eae/species/asian-carp-fact-sheet-eng.html

5. Belen, Acosta. Ctenopharyngodon idella. Accédé au                                         http://fishbase.org/Summary/SpeciesSummary.php?ID=79&AT=grass+carp

6. Kolar, C., Chapman, D., Courtenay, W., Housel, C., Williams, J., & Jennings, D. (2005). Asian Carps of the Genus Hypophthalmichthys (Pisces, Cyprinidae) ― A Biological Synopsis and Environmental Risk Assessment. National Invasive Species Council Materials. Retrieved from http://digitalcommons.unl.edu/natlinvasive/5

7. Radio-Canada, (25 novembre 2009). Accédé au http://ici.radio- canada.ca/regions/ontario/2009/11/25/003-carpe-asiatique-grands-lacs.shtml

8. National Wildlife Federation. Accédé au http://www.nwf.org/wildlife/threats-to-wildlife/invasive- species/asian-carp.aspx

9. National Park Service. Accédé au https://www.nps.gov/miss/learn/nature/ascarpover.htm

10. http://www.asiancarp.us/faq.htm

11. Conover, G., R. Simmonds, and M. Whalen, editors. 2007. Management and control plan for bighead, black, grass, and silver carps in the United States. Asian Carp Working Group, Aquatic Nuisance Species Task Force, Washington, D.C. 223 pp

12. Brassard, Dominic. (3 jun 2016). Radio-Canada. Accédé au http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/environnement/2016/06/03/001-carpe-asiatique-roseau-fleuve-saint-laurent-pecheurs.shtml

13. Department of Primary Industries. Accédé au http://www.dpi.nsw.gov.au/fishing/habitat/threats/barriers

14. Laperrière, Stéphanie. (3 novembre 2016). Radio-Canada. Accédé au http://ici.radio-canada.ca/regions/ontario/2016/11/03/001-loi-especes-envahissantes-entree-en-vigueur-ontario.shtml

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