Peut-on seulement imaginer à quoi ressembleraient la stupeur et les échanges entre deux scientifiques des années 1930 venant de découvrir un spécimen vivant d’un ordre qu’on croyait éteint depuis 65 millions d’années? C’est ainsi qu’a eu lieu la découverte du premier spécimen vivant de cœlacanthe, ce célèbre ordre de poissons de la classe des sarcoptérygiens qui s’apparentent aux ancêtres des vertébrés terrestres. Dû à la dépendance des jeunes pour leur mère et l’attention humaine qu’ils reçoivent, les cœlacanthes sont aujourd’hui considérés en danger d’extinction.

Nous savons aujourd’hui qu’il existe 2 espèces vivantes de cœlacanthe qui seraient apparues durant le Dévonien et auraient survécu jusqu’à nos jours. Toutefois, la découverte du premier spécimen il y a une centaine d’années ne fut pas sans embûche.

Cette histoire débute en Afrique du Sud en 1938, lorsque Marjorie Courtenay-Latimer reçoit le coup de téléphone d’un pêcheur local, capitaine Hendrik Goosen, pour venir inspecter un poisson repêché à l’allure étrange. De tels appels sont alors coutumes pour Marjorie Courtenay-Latimer, conservatrice du East London Museum, passionnée par les sciences naturelles et dévouée pour le musée. Dès la découverte sur le bateau de pêche de ce poisson bleuté de 5 pieds aux nageoires charnues, elle est persuadée de son importance scientifique et va tenter d’en percer le mystère.

Croquis du spécimen de cœlacanthe réalisé par Marjorie Courtenay-Latimer et envoyé à l’ichtyologiste J.L.B. Smith. (Source : Ashworth, 2020)

Ce jour marque le début d’un parcours scientifique qui s’avérera, considérant les contraintes de communication de l’époque, plus complexe que prévu. Le 23 décembre 1938, Marjorie Courtenay-Latimer envoie une lettre ainsi qu’un croquis rudimentaire du spécimen à l’ichtyologiste J.L.B. Smith, qui se trouve alors à plus de 500 kilomètres du musée et qui ne peut lui répondre que 11 jours plus tard. En apprenant que les organes internes du spécimen ont dû être jetés, il veut héroïquement retracer les ordures de la ville, mais en vain. Durant les longues semaines qui vont suivre, les deux scientifiques s’écrivent de nombreuses lettres, tentant en parallèle de préserver le mieux possible le poisson jusqu’à ce que l’ichtyologiste arrive à se rendre au musée pour confirmer ou infirmer les hypothèses. Marjorie Courtenay-Latimer le ramène rapidement au taxidermiste du musée, mais même les tentatives de photos n’aboutissent à rien, à croire que l’Univers est braqué contre eux. « Your fish is occasioning me much worry and sleepless nights. It is most aggravating being so far away. » [Votre poisson me cause beaucoup d’inquiétude et de nuits sans sommeil. C’est encore pire d’être si loin.] écrit Smith dans une de ses lettres, terrifié à l’idée de la perte astronomique que représente la dégradation de ce spécimen pour la zoologie.

À la lecture de ces correspondances, on partage le sentiment d’euphorie à l’idée d’une découverte d’une telle ampleur, au point qu’elle soulève de l’incrédulité. D’ailleurs, Smith a initialement considéré l’hypothèse que le poisson ne soit en réalité qu’un fossile très bien conservé.

Marjorie Courtenay-Latimer avec le spécimen de cœlacanthe après sa découverte. (Source: The South African Institute for Aquatic Biodiversity)

Après presque deux mois de péripéties ayant suivi la découverte de l’improbable spécimen, J.L.B. Smith se retrouve enfin face à lui, et puisse confirmer sa taxonomie: « Yes, there was not a shadow of doubt, scale by scale, bone by bone, fin by fin, it was a true Coelacanth. » [Oui, il n’y avait pas l’ombre d’un doute, écaille par écaille, os par os, nageoire par nageoire, c’était un véritable Cœlacanthe.] C’est ainsi, en l’honneur de Marjorie Courtenay-Latimer, qu’il nomma cette espèce Latimeria chalumnae. Et le poisson qui fut un temps présumé éteint émergea de nouveau du mystère de la mer.

Sources:

  1. Ashworth Jr, Dr. W. B. (2020, 24 février). Scientist of the Day – Marjorie Courtenay-Latimer. Linda Hall Library. https://www.lindahall.org/marjorie-courtenay-latimer/
  2. Tyson, P. (s.d.). Moment of Discovery. NOVA : Science Programming on Air and Online. https://www.pbs.org/wgbh/nova/fish/letters.html#fea_top
  3. Coelacanth, a living fossil. (s.d.). https://www.museon.nl/en/knowledgebaseitem/coelacanth-a-living-fossil
  4. BioInteractive. (2016, 28 janvier). Animated Life: The Living Fossil Fish | HHMI BioInteractive Video [vidéo]. https://www.youtube.com/watch?v=HJ3yLh_CYg4&t=122s

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