En 2018, The Guardian énonçait dans un article sur l’importance de la biodiversité que l’objectif des Nations Unies de protection des océans était de 10% d’ici 2020, et que comparativement à d’autres objectifs plus laborieux il s’agissait d’une cible parfaitement atteignable1. Or, maintenant que nous avons passé 2020, ce sont seulement 7.9% des océans qui sont protégés, alors qu’au moins 40% sont menacés2. Pour donner un ordre de grandeur, cela correspond environ à la taille de l’Amérique du Nord. Seulement. Face à la question des mesures de protection de l’Océan, les réponses de l’ONU semblent manquer de clarté à la vue de ce chiffre fortement inférieur aux objectifs. 

L’ONU et ses objectifs

La surface des continents représente 29% de la surface planétaire, alors que la surface des océans en représente 71%: 13% des terres sont protégées, contre seulement 7% des mers et océans. Devant les nombreuses menaces qui affectent la qualité de l’eau et donc la vie marine qui y subsiste (pour n’en nommer que quelques unes: l’expansion urbaine et l’industrialisation des zones côtières, les rejets de polluants dans les cours d’eau, l’accumulation du plastique dans les mers du globe, l’acidification des océans…) l’Organisation des Nations Unies se voit dans l’impératif, devant sa responsabilité internationale, de fixer des objectifs relatifs à la protection des océans. L’objectif 14 du développement durable de l’ONU, “vie aquatique”, illustre plus précisément les efforts avancés pour protéger la biodiversité marine : celui-ci stipule que puisque l’océan occupe une place centrale dans la majorité des phénomènes environnementaux, et que sa biodiversité est essentielle à la santé des Hommes et de la planète, sa gestion durable est cruciale pour un avenir tout aussi durable sur Terre.

L’objectif 14 présente plusieurs cibles visées dans son application concrète. Parmi celles ci, deux sautent un peu plus aux yeux que les autres:  [14.2   D’ici à 2020, gérer et protéger durablement les écosystèmes marins et côtiers, notamment en renforçant leur résilience, afin d’éviter les graves conséquences de leur dégradation et prendre des mesures en faveur de leur restauration pour rétablir la santé et la productivité des océans] et [14.1   D’ici à 2025, prévenir et réduire nettement la pollution marine de tous types, en particulier celle résultant des activités terrestres, y compris les déchets en mer et la pollution par les nutriments]3. L’ONU semble peut être trop équivoque dans ces énoncés, puisqu’à l’issue de ces objectifs, la question qui persiste est: de quelle manière appliquer ces mesures de conservation, exactement? Que veulent vraiment dire “nettement” et “durablement”? Lire ces lignes nous laisse la cruelle impression que devant un objectif non atteint, la solution a simplement été d’en rajouter un autre avec une échéance plus lointaine. Et que l’on souhaiterait pouvoir se baser sur des données et des mesures plus concrètes.

Une méduse du genre Chrysaora. L’augmentation des populations de méduse est également un indicateur du changement climatique et de l’augmentation de la pollution liée aux activités humaines dans une région particulière. Un nombre trop élevé de méduses peut empêcher la recolonisation de l’habitat par d’autres espèces suite à une perturbation. (Source: Lamb, 2017 ; Photo: ©Lance Anderson).

Protéger 30% des océans

Pourquoi est-il primordial de protéger les océans? La réponse unanimement offerte est généralement celle postulant que “l’Océan est essentiel à la vie sur Terre”. Certes, mais de quelle manière précisément? L’océan nous fournit plus de 50% de l’oxygène que l’on respire, et participe en premier plan à la régulation du climat. Ce sont près de 83% des quantités de CO2 du cycle carbonique qui circule au travers des océans, et la prise océanique carbonique offre une balance qui permet de réguler la température globale ainsi que le cycle de l’eau sur Terre4. Mais cette absorption du carbone n’est pas sans conséquence, puisque plus l’Océan absorbe du CO2 dont les activités humaines augmentent les quantités atmosphériques, plus il s’acidifie. Les répercussions de l’acidification sur les communautés biologiques marines sont souvent fatales : blanchiment des coraux, disparition de certains organismes ne parvenant pas à s’adapter, diminution des taux de croissance, et plus encore5.

D’ici 2030, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a avancé que l’objectif grandement bénéfique pour la biodiversité marine serait de protéger au moins 30% de l’Océan6. Mais si aujourd’hui le premier des objectifs n’a pas été atteint, à quel point est-il réalistiquement possible d’appliquer des mesures de protection efficaces pour les océans? 

Une partie de la question réside dans quels 30% exactement il s’agirait de protéger. Si les zones côtières jusqu’à un certain nombre de miles nautiques au large des côtes sont sous le contrôle des pays côtiers respectifs, passé une certaine distance les eaux ne sont plus la propriété d’aucun pays. Au total, ces eaux internationales ne représentent pas moins de deux tiers de la surface des océans. Cela pose alors problème lorsqu’il s’agit de prendre des décisions au regard de la protection de ces zones, dont seulement 1% de la totalité est protégé à ce jour6. C’est ici que l’ONU entre en jeu, en apposant des règles internationales sur l’utilisation et la protection de la haute mer. Règles qui sont à ce jour insuffisantes pour garantir un plus large pourcentage d’Aires Marines Protégées (AMP) : établir ces zones dans les mers internationales requiert l’intervention et la collaboration gouvernementale de multiples nations et partis, une étape de plus qui freine la mise en place rapide de mesures actives. Mais décider alors de protéger 30% de l’Océan dans un périmètre qui ne prend en compte que les eaux territoriales et archipélagiques reviendrait à exclure des mesures de gestion toute la biodiversité de la haute mer. Absurde, n’est ce pas? 

Les récifs coralliens sont principalement victimes des effets de l’acidification des océans, une conséquence directe de l’augmentation du CO2. Photo: ©Nariman Mesharrafa.

En prenant en compte la grande majorité des facteurs en jeu lors de la protection des zones marines, tels que la diversité spécifique, la distribution des populations, mais également les restrictions spatiales et légales ainsi que le poids de l’industrie de la pêche, plusieurs études se sont penchées ces dernières années sur comment protéger efficacement ces 30%, et à quels endroits exactement6,7. A l’issue des rapports, si certaines zones océaniques ressortent davantage que d’autres, le consensus est fragile voire inexistant : l’importance accordée à certaines régions est asymétrique dans l’ensemble des études (Université d’Oxford en collaboration avec Greenpeace UK, Université de Californie à Santa Barbara). Mais le message reste unanime: si l’on veut assurer la pérennité des efforts de protection et renforcer les mesures déjà appliquées, une des solutions est de créer d’avantages d’AMPs. Le rapport de Greenpeace, particulièrement complet, offre à ce sujet une perspective claire et précise sur le futur de la protection des océans, et met en avant le besoin de se placer à une échelle globale pour s’assurer du bon établissement des plans de gestion.

Seulement 2,7% de l’Océan est établi comme zone entièrement et hautement protégée. (Source: Marine Conservation Institute).

Le problème du plastique

Et justement, en parlant d’échelle. Un second aspect à considérer pour répondre au problème est la vision plus large qu’il faut porter au sujet: les mesures de protection à appliquer ne sont pas uniquement celles qui touchent directement et uniquement l’espace maritime. Un exemple clé est celui des restrictions concernant l’utilisation du plastique à usage unique : en travaillant à réduire les déchets plastiques à compter de 2021 pour les bannir entièrement d’ici 2040, le Canada fait un pas en direction de la protection des Océans, pour lesquels le plastique est l’une des premières sources de pollution menaçant la vie marine. Au Costa Rica et en Inde, des plans du même ordre sont supposés prendre effet respectivement en 2021 et 2022. Aux États-Unis, les restrictions sont locales et non pas nationales, dépendant de la législation des états. Mais si l’on veut accélérer la gestion durable des mers, 2040 semble trop loin : selon l’UICN chaque année environ 8 millions de tonnes métriques de déchets plastiques entrent dans l’écosystème marin, et en 2020, ce sont déjà au total plus de 150 millions de tonnes métriques de plastique qui circulent dans l’Océan8.

L’océan Arctique est celui qui contient le plus de plastique à sa surface. Photo: ©Stan Eigil.

Si les choses continuent à ce rythme, il est estimé que d’ici 2050 l’océan contiendra davantage de plastiques que de poissons : un renversement complet de l’ordre naturel. Les chiffres se poursuivent, et sont effrayants : 80% des débris retrouvés dans l’océan sont des débris plastique, et ces débris sont retrouvés dans l’organisme de 100% des espèces de tortues marines8. Comment espérer que les espèces marines fassent preuve de résistance ou de résilience à long terme lorsque les pressions sont continuelles et semblent s’aggraver d’année en année? L’Homme a introduit dans leur milieu naturel une espèce exotique envahissante qui perturbe leur métabolisme et affecte la disponibilité des habitats : le plastique. Nombreuses sont les organisations à but non lucratif qui œuvrent pour éduquer le public, nettoyer les plages et les côtes, supporter des programmes de protection et protester contre les activités menaçant la biodiversité marine (Ocean Conservancy, The Plastic Pollution Coalition, Sea Legacy)9. Toutefois les statistiques alarmantes soulignent que le besoin d’action est international, et que les mesures doivent non seulement être prises concrètement par les gouvernements, mais également de manière plus drastique en termes de juridiction.

Une étude réalisée sur les populations de tortues marines du Pacifique et de l’Atlantique a montré que 100% des individus possédaient des plastiques ou microplastiques dans leur système digestif. Photo: ©Wexor Tmg.
Les déchets plastiques s’accumulent sur les plages : chaque année, ce sont plus de 8 millions de tonnes métriques de plastique qui se retrouvent dans l’Océan. Photo: ©John Cameron.

La surpêche et les polluants, deux autres enjeux

Le plastique n’est évidemment pas la seule menace qui plane au-dessus du futur des océans: la surpêche et les rejets de polluants sont à prendre en considération par leur impact majeur sur les écosystèmes. Mais ici encore, ce sont des impacts qui ultimement peuvent être renversés si les bonnes mesures sont appliquées. Quelles mesures? Pour la surpêche tout d’abord, industrie dont dépendent des millions de personnes sur Terre autant en termes d’apports alimentaires que de profits économiques, la création d’un plus grand nombre d’Aires Marine Protégées (AMPs) est un élément clé. C’est cette menace particulièrement que l’objectif des 30% porte dans sa ligne de mire : en étendant le pourcentage de zones protégées, la surface totale de l’océan bénéficiant d’une juridiction renforcée en termes de quantités de poissons prélevés dans le cadre de la pêche augmente. En retour, il s’agit de l’ensemble des communautés marines qui s’en trouve bénéfiquement affectées, puisque lorsqu’un trop grand nombre de poissons d’une espèce se trouvant en haut d’une chaîne trophique est pêché la diminution des populations a des répercussions jusqu’aux niveaux les plus inférieurs de la chaîne. Permettre le rétablissement des populations en régulant la pêche aide alors à restaurer l’ordre du réseau trophique9.

Le problème des polluants s’inscrit dans une autre catégorie encore : puisque la mer est un réseau de transport immense, elle subit les répercussions de ce trafic maritime. Répercussions qui s’expriment notamment par les collisions pétrolières qui déversent des milliers de tonnes de pétrole dans l’eau : de manière générale, peu importe leur envergure, ces déversements possèdent un impact nocif sur les écosystème en particulier s’il s’agit de milieux abritant des espèces sensibles. Malheureusement, tout ça n’est rien de nouveau. Mais si des mesures ont été prises dans les années 1990, à savoir améliorer la construction des bateaux de manière à renforcer leur coque pour prévenir le déversement lors d’une collision, presque chaque année une nouvelle marée noire a lieu. Pourquoi? En partie parce que les anciens pétroliers à coque non renforcée sont toujours en service sur les mers du globe. Si le nombre de marées noires a diminué depuis les années 1970, il n’empêche qu’il reste toujours trop haut : ce sont plus de 6 millions de tonnes qui ont été déversés dans l’Océan depuis les cinquante dernières années10.

Le requin-marteau halicorne (Sphyrna lewini) est en danger critique d’extinction. La pêche représente la principale menace à sa survie. (Source: UICN; Photo: ©David Clode).

Des actions à grande échelle

Pollution, surpêche, émissions de CO2 et réchauffement climatique… Les menaces sont complexes et s’additionnent. Évidemment, les réponses et les solutions ne sont jamais aussi simples que sur papier: les paramètres à considérer sont si nombreux qu’il semble s’agir d’un enchevêtrement presque impossible à démêler. Considérer l’échelle globale en matière de problématique ne signifie pas que les efforts ne doivent pas être locaux : les organisations à but non lucratifs, organismes de recherche, fondations de protection (Sea of Change, Fondation Waitt, Projet Pristines Seas) qui continuent d’œuvrer pour la gestion durable et la préservation des océans sont nombreux et essentiels par leurs actions. Tout le monde peut en faire partie et contribuer à son échelle. Seulement, le réseau de protection doit se construire autour des actions conjointes des scientifiques, des biologistes de la conservation, des gouvernements, et des organisations de protection. Un meilleur placement des subventions de la recherche en conservation doit être fait, vers des programmes de gestions concrets et applicables en temps réel : il s’agit de trouver la juste balance entre recherche et action. Dans quel sens exactement? Il est question d’être capable, lorsque les mesures doivent être prises par les gouvernements, d’agir suffisamment rapidement pour parer une augmentation du risque d’extinction. Un exemple clé peut être celui du marsouin du Pacifique (Phocoena sinus) : le “manque de données suffisantes” sur l’espèce a conduit le gouvernement mexicain à refuser au premier abord l’application d’un plan de conservation, conduisant à un déclin des populations à moins de 100 individus en un temps éclair11. En quelque sorte, le message aux gouvernements est de ne pas “contrer la science par plus de science” : attendre qu’il soit trop tard sous prétexte d’un besoin de plus de recul ou de certitude peut causer des pertes irréversibles que les scientifiques avaient inexorablement prédit, si aucune action rapide n’était menée11. À cela s’ajoute le besoin de transparence des médias pour informer correctement sur la réalité des impacts que les activités humaines possèdent sur la faune et la flore marines: la diffusion de l’information est prépondérante du fait qu’elle est le premier vecteur de changement. Sans éducation sur les risques et sans prise en considération des solutions, les actions se développent lentement, et risquent de tomber dans l’oubli.

Est-il vraiment nécessaire de rappeler que “le besoin d’action, c’est maintenant” ? Il semble s’agir d’un concept acquis dans les esprits au regard des menaces grandissantes sur les océans. Mais il existe une certaine marge entre “être conscient du besoin de changement” et “appliquer des mesures concrètes”. La conservation des océans ne se résume pas à lister sur la liste rouge de l’UICN quelles espèces sont en péril et pourquoi : oui, c’est essentiel, mais la conservation a besoin d’être propulsée sur les devants de la scène scientifique, de posséder les fonds et les actions efficaces nécessaires à sa bonne application. Protéger les océans est une entreprise conséquente, qui demande la coopération de multiples acteurs ; le consensus scientifique manque à l’appel bien souvent et une multitude d’impacts sont à prendre en compte. Et l’échec de protection de 10% des océans en 2020 sert de leçon. L’objectif des 30% sera-t-il, quant à lui, atteint d’ici 2030 ?

Pour connaître l’ensemble des AMPs qui existent à ce jour: Global Marine Protection (Marine Conservation Institut).

Les poissons papillons sont capables de survivre dans des habitats relativement changeants. A ce jour, le statut de conservation des espèces de Chaetodontidae est seulement “préoccupation mineure”. Chaetodon lunulatus, cependant, voit ses populations décroître rapidement depuis les dernières années : le changement climatique, qui modifie la disponibilité des habitats, serait une menace de plus en plus importante pour l’espèce, et susceptible de mettre en péril d’autres espèces de la même famille dans les prochaines années (Source: UICN ; Photo: ©Florent Charpin).

Sources :

  1. What is biodiversity and why does it matter to us? (2018). The Guardian. http://www.theguardian.com/news/2018/mar/12/what-is-biodiversity-and-why-does-it-matter-to-us
  2. Quel pourcentage de l’océan est-il réellement protégé ? (2020). https://www.pewtrusts.org/fr/research-and-analysis/articles/2020/07/07/how-much-of-the-ocean-is-really-protected
  3. Farigoul, S. (2015). Objectif 14 : Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable. Développement durable. https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/oceans/
  4. US Department of Commerce, N. O. and A. A. (2021). Why should we care about the ocean? https://oceanservice.noaa.gov/facts/why-care-about-ocean.html
  5. Exploring how climate change relates to oceans (s. d.). World Wildlife Fund. https://www.worldwildlife.org/stories/how-climate-change-relates-to-oceans
  6. Scientists agree on the need to protect 30% of the seas. But which 30%? (2020). Mongabay Environmental News. https://news.mongabay.com/2020/06/scientists-agree-on-the-need-to-protect-of-30-of-the-sea-but-which-30/
  7. Countries fall short of U.N. pledge to protect 10% of the ocean by 2020 (2020). Mongabay Environmental News. https://news.mongabay.com/2020/12/countries-fall-short-of-u-n-pledge-to-protect-10-of-the-ocean-by-2020/
  8. Marine plastics. (2018,). IUCN. https://www.iucn.org/resources/issues-briefs/marine-plastics
  9. A Guide to Ocean Conservation Organizations and Efforts | Dive Training Magazine (2019). Scuba Diving News, Gear, Education | Dive Training Magazine. https://dtmag.com/thelibrary/ocean-conservation-efforts/
  10. Statistics—ITOPF (2021). https://www.itopf.org/knowledge-resources/data-statistics/statistics/
  11. Parsons, E. C. M., DellaSala, D. A., & Wright, A. J. (2015). Is Marine Conservation Science Becoming Irrelevant to Policy Makers? Frontiers in Marine Science, 2. https://doi.org/10.3389/fmars.2015.00102
  12. Lamb, J. (2017). The Global Jellyfish Crisis in Perspective. JSTOR Daily. https://daily.jstor.org/global-jellyfish-crisis-perspective/

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